Le cul, un bien de consommation comme un autre ?

Un anthropologue extraterrestre qui arriverait sur notre jolie planète bleue se poserait immanquablement la question de notre adoration au « cul ». Un dieu ? Un dictateur ? Une idée ?
Analysons la situation. Par cul, il faut comprendre le cul en tant qu’objet, cette partie de l’anatomie humaine qui se cache en général sous un pantalon ou une jupe. Par cul, il faut également comprendre l’activité sexuelle liée à l’accouplement, non concomitant à la procréation, entre deux êtres, parfois du même sexe, parfois de sexe opposé. Et par cul, il faut encore comprendre tous les termes liés à la chance, comme l’expression « tu as un de ces cul ! » signifiant qu’on a gagné au loto. Mais laissons de côté cette dérive étymologique.
Le cul comme objet sexuel est comme notre bras : il m’appartient, mais peut servir à d’autres. Quand il m’appartient, je décide de son usage, quand il est destiné à d’autres, il est objet. Un objet qui a une valeur d’échange et une valeur d’usage. Un cul se vend et s’achète à un prix déterminé par le marché, et possède une valeur subjective définie par l’acheteur. A dire vrai, le cul comme tel ne se vend pas bien. Il serait même de très mauvais ton d’en montrer un vrai par exemple pour faire de la publicité pour du papier de toilette. Imaginez, de grosses fesses bien rondes et un slogan du style « rien de mieux pour la douceur de ma peau » avec un rouleau rose en premier plan. Pas vraiment sexy !
Le cul qui coûte est celui lié à la prestation du cul. Dans ce cas-ci, le cul, objet sexuel, est comme notre cerveau : quand on travaille pour une société X, cette société, au regard de notre CV et de notre expérience professionnelle, achète nos compétences intellectuelles. Je vends mon cerveau, je vends mon cul. Même démarche. Je ne pose pas mon cerveau sur une table, je l’utilise pour mon employeur. Je ne pose pas mon cul sur un tabouret, je l’utilise pour mon employeur, qui est aussi mon client.
Sauf que là, le bât blesse. Quand j’utilise mon cerveau pour la société X, je le vends pour certaines tâches et durant un certain temps. Et cette vente temporaire s’accompagne d’une somme d’argent que je reçois en échange. La prestation sexuelle aussi, me direz-vous. Oui sauf que dans notre société, vous pouvez travailler dans une société X et en-dehors, être madame tout le monde. Quand vous travaillez avec votre sexe, vous n’êtes que difficilement une madame comme une autre. La valeur d’usage et la valeur d’échange sont bien identiques à celles de tout bien qui se trouve sur le marché, mais elles se trouvent confrontées à une confusion mentale. Le cul comme fin en soi n’a rien de spécial. Le cul comme « faire-valoir », à un aspirateur, une voiture, une chaussure, un maquillage et toute autre chose à laquelle vous pensez le dissocie de son « propriétaire ». Le cul dans cette acception n’est plus l’objet, ni la prestation, mais le symbole. Le symbole sexuel. On met du cul dans sa soupe comme on mettrait du sel, pour en donner un certain goût.
Le cul a donc un troisième rôle à jouer, celui de vecteur. Celui d’intermédiaire. On veut vendre une voiture, on affiche une photo de très belle femme, ou une très belle photo de femme (merci photoshop) avec l’objet à vendre (la voiture) et on utilise un slogan sexuel « on m’appelle Stupida, essaie-moi ». Le rôle de ce cul-ci est très pernicieux, car l’acheteur n’achète pas ce qu’il croit acheter. Il n’achète pas du cul, mais un souvenir potentiel d’un rêve inaccessible. En essayant cette voiture, c’est comme s’il essayait cette belle femme. Comme si les femmes s’essayaient d’ailleurs… Cela me rappelle les indulgences que l’église vendait il n’y a pas si longtemps. En achetant des indulgences, vous achetiez votre place au paradis… « Tu t’appelles Stupida, achète-moi ». Disons que le processus est le même pour des biens différents. Je ne voudrais pas mêler le cul à l’âme ou à l’esprit, on ne lave pas les torchons et les serviettes ensemble, mais la ressemblance est frappante.
Mais quand même, ce cul à toutes les sauces, n’est-il pas le cul qui cache la forêt ? En oublie-t-on son rôle primaire ? Comme objet ou prestation sexuelle, le cul est intime et personnel, il n’appartient qu’à soi. Et son usage dépend de soi. Le cul des autres ne fait pas mieux conduire une voiture !
Notre anthropologue curieux se gratterait bien la tête devant nos affiches, et il en déduirait peut-être que nous avons le cul en religion. Car s’aliéner à ce point ne peut être que surnaturel ou spirituel. Mais finalement, notre organe sexuel le plus efficace n’est pas le cul, ni l’esprit, mais bien… le cerveau. Le plaisir est dans la tête et penser au cul, c’est réfléchir, c’est bien connu !

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